Rome , 23 novembre 1989
RAPPORT DE L’ASSOCIATION EUROPE ET ENTREPRISES A LA COMMISSION DES COMMUNAUTES EUROPEENNES RELATIF À LA PROPOSITION DE RÈGLEMENT PORTANT STATUT DE LA SOCIÉTÉ EUROPÉENNE
L’objet du présent rapport est de rendre compte à la Commission des conclusions auxquelles a abouti l’Association Europe & Entreprises, au terme des travaux menés en son sein dans la perspective du colloque organisé sous son égide à Rome le 23 novembre dernier sur le thème : "Vers une société de droit européen ?".
L’Association tient à souligner dès à présent qu’elle est favorable à l’idée d’une société de droit européen et à sa mise en oeuvre rapide. Les consultations qui ont été menées pendant les derniers mois ont cependant mis en lumière l’importance des critiques ou des réticences rencontrées dans les milieux économiques européens, voire la préférence clairement manifestée par d’aucuns à des solutions alternatives, comme la société nationale transfrontière, ou même le projet français de société anonyme simplifiée.
En dépit de ces critiques nombreuses et convergentes, l’Association estime que l’idée même de société de droit européen qui constitue une avancée importante de la liberté d’établissement et participe par là même à la logique du marché unique de 1992 ne doit pas être remise en cause. Cela étant, si l’on souhaite que la S.E. qui est purement facultative, ne reste pas une simple possibilité théorique, mais soit effectivement choisie, il convient, à notre sens, d’apporter au règlement des modifications profondes.
L’Association se propose donc, après avoir brièvement rappelé à la Commission les principales critiques dont fait l’objet le Règlement, de lui soumettre un certain nombre de propositions de modifications. Point n’est utile de s’étendre trop longuement sur le chapitre des critiques. On se bornera donc à rappeler les principales d’entre-elles, en distinguant les aspects responsables d’une certaine indifférence des milieux économiques des points précis qui suscitent au contraire une réaction de rejet Le manque d’intérêt manifesté repose sur trois reproches fondamentaux Le premier tient à la portée limitée du Règlement. On lui reproche notamment d’être resté trop proche d’un statut type de S.A., sans apporter en la matière d’innovation juridique, comme il eût été possible de le faire, dans le domaine des pactes ou conventions de vote, par exemple.
La portée du statut semble également limitée par les très fréquents renvois aux droits nationaux, notamment dans les matières où l’harmonisation des législations des différents Etats membres n’a pas abouti. Les dispositions sont en outre jugées inadaptées aux préoccupations et aux évolutions économiques actuelles. On relèvera que les modalités de constitution de la S.E. -par fusion, création de holding ou de filiale commune- ne permettent pas à une société française d’accéder au statut européen, même si elle possède plusieurs établissements dans la CEE, pas plus qu’elles ne font place à la création par fusion-absorption qui est pourtant de loin la plus courante dans la pratique des affaires. Enfin sur le plan fiscal, la carence maintes fois soulevée du projet doit cependant être relativisée, compte tenu de l’adoption par le Conseil des Communautés le 23 juillet dernier, du paquet des trois directives concernant le régime des fusions, des sociétés mères et filiales ainsi que les doubles impositions.
D’autres aspects suscitent au contraire des réactions de rejet.
Il s’agit tout d’abord de la rigidité excessive du statut, qui semble avoir été conçu pour des sociétés faisant appel à l’épargne publique, ce qui implique un corps de règles contraignant, et cela alors que la constitution de sociétés communes passera par des joint ventures ou des filiales qui seront fermées. Le même reproche est adressé au fonctionnement des organes sociaux, qui semble s’aligner sur les législations nationales les plus contraignantes. Il semble d’ailleurs à cet égard que les dirigeants d’entreprises déplorent la prédominance excessive accordée par le statut à l’organe de surveillance sur l’organe de direction, dont les membres ne sont crédités ni d’une confiance ni d’une pérennité suffisantes.
C’est cependant le "volet social" qui suscite l’hostilité des réserves les plus clairement exprimées de la part de nombreux chefs d’entreprises, notamment en raison de la diversité des cultures nationales. Il est observé que les modalités de participation du "modèle allemand" conjuguées avec les dispositions de l’article 72 du Règlement qui requiert l’autorisation préalable de l’organe de surveillance ou du Conseil d’Administration avant la mise en oeuvre des décisions importantes, pourraient entraver le pouvoir de décision de la direction. Certaines craintes apparaissent également en ce qui concerne la confidentialité des informations. De manière générale, on craint dans certains milieux patronaux la contagion du modèle de co-gestion en Europe, modèle dont la SE apparaîtrait comme le Cheval de Troie. L’Association estime que le succès de la Société Européenne, dont l’intérêt et l’utilité sont incontestables, passe par un aménagement profond du statut actuel. L’Association estime en effet que, sans modifier radicalement le Règlement, on pourrait facilement lui apporter un certain nombre de modifications.
C’est ainsi qu’il conviendrait :
de libéraliser l’accès au statut de la Société Européenne en autorisant des sociétés nationales à se transformer en Société Européenne ou à constituer une filiale commune sous cette forme ;
de ne pas exclure le procédé de la fusion-absorption largement privilégié par la pratique, et de plus généralement de ne pas lier le statut de Société Européenne à une création de société nouvelle, source de handicap ;
de lever l’interdiction pour une filiale de Société Européenne de créer une sous-filiale sous forme également de Société Européenne ;
d’écarter l’obligation de correspondance du siège social et du siège réel (lieu de l’administration centrale), quitte à envisager d’autres mesures protectrices à l’égard des Etats tiers, mesures qui ne soient pas source de rigidités statutaires ;
d’assouplir le mode de fonctionnement des assemblées (reconnaissance du droit de vote plural, limitation du nombre de voix dont dispose un actionnaire, conventions de vote...) notamment en vue de préserver le caractère européen de la société ;
d’élargir, en réponse aux préoccupations des chefs d’entreprise, les dispositions relatives aux valeurs mobilières (modernisation de la gamme des titres susceptibles d’être émis comme les bons autonomes, les bons attachés à l’action ou à l’obligation, valeurs composées, etc...) ;
d’assouplir celles régissant les organes d’administration, d’assurer la stabilité au management (restreindre les possibilités de révocation ad nutum des membres de l’organe de direction), de laisser aux statuts le soin de définir les opérations subordonnées à une autorisation préalable ;
et surtout, de différencier la Société Européenne fermée, c’est-à-dire la société de coopération transfrontalière de la société faisant publiquement appel à l’épargne, la première devant se caractériser par une plus grande souplesse et une contractualisation affirmée. A cet égard, on pourrait envisager de rendre possibles, comme c’est le cas en Grande-Bretagne ou aux Pays-Bas, certaines conventions de vote ou de prévoir une présidence alternée dans des SE qui ont deux actionnaires ou deux groupes d’actionnaires. Enfin, à l’instar des dispositions introduites en droit français par la loi du 2 août 1989, le régime des prises de participation significatives pourrait être assoupli pour les sociétés non cotées, notamment en matière de déclaration de franchissement de seuils.
En ce qui concerne le volet social, l’Association est bien entendu convaincue de la nécessité de favoriser le consensus et la cohésion sociale par les modalités de participation d’information et de consultation des salariés. Elle estime néanmoins que le système de cogestion à l’allemande paraît difficilement pouvoir être introduit dans la SE sans considération d’un seuil, comme c’est d’ailleurs le cas en Allemagne où ce modèle de participation ne s’applique que dans les entreprises de plus de 500 salariés.
Par ailleurs , il paraît souhaitable de modifier le projet afin de rétablir l’équilibre entre les trois modèles de participation envisagés par la directive, le projet actuel ayant une nette tendance à donner la prééminence au modèle allemand qui, compte tenu des particularités nationales, n’est pas toujours le mieux adapté. En conclusion, l’Association émet le voeu que le projet actuel puisse être profondément modifié. Pour les sociétés ouvertes à l’épargne, des modifications importantes mais ponctuelles semblent de nature à répondre aux préoccupations les plus souvent exprimées. En revanche, pour ce qui est des sociétés fermées, les aménagements nécessaires sont d’une autre nature. Il conviendrait en effet de privilégier la voie de la contractualisation des rapports juridiques à l’anglo-saxonne par rapport à la conception plus institutionnelle d’autres droits nationaux, en laissant place à un statut-cadre qui permettrait aux entreprises d’adapter le contenu à leurs besoins réels. C’est là, à notre sens, la condition du succès et de l’efficacité d’une véritable société européenne.